vendredi, décembre 10, 2004

L'attente...

Première évaluation de français.

C'est l'histoire d'un flic qui veut finir sa soirée en explosant la cervelle de deux jeunes de cité, un noir et un asiatique. J'avais pour mission de finir l'histoire, à partir du moment où le policier s'apprête à tirer.

Le bonhomme au pistolero est si proche des deux jeunes qu’ils peuvent voir les goûtes de sueur qui dégoulinent sur son visage congestionné et ravagé par l’alcool. Dans ces moments là, c’est tout ce que l’on voit.

Cela devait bien finir par arriver, pensais-je alors…C’est ce soir que je meurs.
Mais, il y eu cette étincelle dans l’œil de Luc…C’est dans ces cas-là que l’on est heureux d’avoir des amis asiatiques. Ils maîtrisent toujours quelques prises de karaté.
Il n’en fallut pas plus pour endormir la flicaille avinée, malgré un flingue plus qu’effrayant, dont Luc s’empara sur le champ.
Les flingues, c’est comme les pénis, il paraît. L’expression plus ou moins consciente d’un complexe de taille. De quoi rigoler. Mais, Luc ne rigole pas et se prépare à tirer. Bien sûr, il lit l’expression blême de mon visage et bien sûr, il se contente d’y répondre par une phrase courte, qui a tout d’un syllogisme : « Ce connard allait nous buter sans plus de sommations ; il n’aura que ce qu’il mérite… »
Pas de vrai point à la fin de son argumentation. Luc est plongé dans ses souvenirs, je le sens bien.
Et même si je sais que ce pochon policier est un salaud-peut-être le pire de son espèce-, je ne peux empêcher mon corps de se glisser entre lui et le pistolet tremblant. Luc n’a pas supporté la pression des quelques dernières minutes. Moi non plus. Mais, nous y réagissons de deux manières totalement différente. Lui, répondant à la violence par la violence. Et moi…Et moi voulant juste voir tout cela s’arrêter enfin…Luc a toute ma confiance et ma vie entre ses mains.
Et évidemment, son bras tendu vers moi se repose, frémissant ; Sa main se relâche et le magnum chute au sol. Il fait un bruit sourd, alors que l’aube se lève doucement, bien loin de nos vies. Le silence en profite pour encombrer l’espace et le temps. Nous avons échappé au pire et l’adrénaline redescend.
Luc et moi nous éloignons du poivrot avachi. Chacun dans sa direction, formant un étrange triangle, le 357 noir au centre.
Le triangle des Bermudes et son épave. Un symbole extrêmement fort, alors que le vieux se réveille.
Les yeux gonflés du poulet s’ouvrent lentement. Pour lui aussi la pression est redescendue. Son regard semble suppliant et son double menton tremble comme un dildo[1].
Je ferme les yeux et souffle. Soulagé d’entendre le soleil pointer et de voir les oiseaux chantonner. La vie reprend son cours quand j’entends sangloter. Les larmes semblent venir de loin, elles semblent dégager des entrailles de la mort…Mais, elles ne sortent pas de la châtaigne[2] comme je l’ai cru au départ.
Luc est à genoux, pleurant maintenant à chaudes larmes comme un petit garçon qui aurait perdu l’animal de compagnie auquel il tenait tant.
Je ne pouvais rien faire, il n’y avait rien à dire. Le coche[3] se faisait ramasser à la petite cuillère par son équipier, trop novice pour rentrer dans son jeu, qui venait tout juste de le retrouver.
Lui non plus ne disait rien, alors que le jeune le mitraillait de questions. Il n’avait rien à dire, il ne pouvait rien y faire.
Luc aurait eu besoin de moi avant cette nuit que je n’aurais pas su[4] comment lui venir en aide.
Et pendant que les gens partaient au travail et que les enfants se préparaient pour aller en cours, je compris en regardant Luc que, de par mes gestes et mes actions du moment, je lui avais bien plus apporté que si j’avais essayé de le convaincre avec des mots.
Je lui avais montré toute la confiance que je lui portais, plaçant sans hésitations ma vie entre ses mains, et il a vu tous les insoutenables secrets qu’il se cachait depuis longtemps. Il a compris qu’il n’avait plus à vivre seul avec ; Qu’il pouvait les partager, chercher à alléger son fardeau.
Il a vu qu’il n’était pas seul.
Il m’a vu.

Alors, nous nous sommes retrouvés lui et moi, seuls au milieu de la cité silencieuse. Tout resplendissait de calme. Les incendiaires dorment à ces heures là. Le soleil chauffait nos visages refroidit par la nuit et nos bouches muettes.
Ce fut Luc qui trouva le courage –et les mots- pour briser le silence :
-…Je…j’ai faim.
-…Je crois que moi aussi…Qu’est-ce qui est ouvert à cette heure ?
-À sept heures ?
-Putain, t’es vraiment trop con !




[1] Dildo : Vibromasseur en québécois.
[2] Châtaigne : Néologisme tiré par les cheveux, qui part de l’expression « un flic marron ».
[3] Le Coche : Le flic, en québécois. Je vous l’assure.
[4] Su : « Savoir » comme dans le sens de « Pouvoir », comme en Belgique.

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